Article écrit par la belle plume d’Églantine Verhille
Chez Bon Magasinage, nous aimons profondément la mode. Pour autant, nous considérons comme fondamental de parler des dessous de cette industrie, des aberrations qu’elle tait depuis trop longtemps. Dans un contexte de remise en question de nos modes de vie face à la crise écologique qui se profile inexorablement, la mission de Bon Magasinage devient cruciale. Nous avons donc rencontré Mathilde* qui nous a ouvert les yeux sur ce qu’il se passe vraiment avant qu’un vêtement finisse dans notre penderie.
Mathilde a travaillé plus de trois ans dans le monde de la fast-fashion à Montréal. La fast-fashion regroupe ces marques bon marché qui nous font trop facilement sortir notre carte de crédit, portées par l’envie d’être « à la mode », sans que l’on se demande d’où viennent ces vêtements. A peine regarde-t-on l’étiquette du « made in ».
Mathilde a participé à la conception de milliers de vêtements, depuis leur design jusqu’à leur production puis leur mise en rayon. Et si l’on peut naïvement croire que la conception d’une collection est le fruit d’un travail de plusieurs mois, Mathilde nous l’annonce d’emblée:
Que se passe-t-il en cinq semaines ?
Mathilde nous explique que dans un bureau dont le niveau de stress est à son comble, elle est chargée de harceler les usines en Chine pour s’assurer d’être livrée à temps. Car ce chiffre de 5 semaines ne provient pas d’une productivité exceptionnelle doublée d’un travail respectueux et de qualité des ouvriers, mais d’une négociation commerciale affranchie de toute cohérence et de toute humanité.
Si un prototype est refusé par le client, Mathilde peut appeler les employés des usines au milieu de la nuit et exiger que la commande globale soit refaite, et bien sûr livrée dans les délais. Dans une ambiance des plus déplorables, elle ne lâche rien jusqu’à recevoir les pièces commandées en très gros volume (jusqu’à 50 000 exemplaires par modèle). Et souvent, le résultat de ces commandes porte les marques du rythme accéléré de la production: des manches inégales, des boutons mal cousus, des jambes de pantalon asymétriques… Et si l’on croit que ces grands groupes compenseraient les dommages causés à l’humain autant qu’à l’environnement en redistribuant les « invendables » à des associations, il n’en est jamais question. Le profit étant le seul mot d’ordre de ces compagnies, ces vêtements mal finis sont revendus à leurs employés.
Certains diront que la responsabilité de ces entreprises est nécessairement partagée avec celle des usines produisant ces vêtements. Pourtant, il faut souligner l’inégalité du rapport de forces qui se joue entre les grands groupes de l’industrie textile et les usines de l’autre bout du monde.
- Comment ces usines peuvent-elles négocier des délais plus longs permettant un processus de production plus respectueux lorsque l’important volume de commandes fait vivre des milliers de personnes ?
- La révolution doit-elle alors venir de l’intérieur de ces grands groupes ?
Mathilde, comme beaucoup de ses collègues, est consciente des désastres environnementaux que provoque cette industrie. Pourtant, il n’est pas si facile d’élever la voix dans un monde où l’on accorde aussi peu d’importance à l’être humain. Elle nous soufflera même que parfois, les contrôles qualité ne sont même pas effectués par des organismes agréés puisque les résultats nuiraient à leur productivité (les délais étant assez longs). Les entreprises tairont aussi les maladies développées par les ouvriers du fait d’une surexposition aux produits chimiques.
Impuissante et écoeurée, Mathilde finit par quitter cet environnement malsain qui l’a bouleversée. Elle travaille aujourd’hui pour une marque de tempeh, dont les valeurs lui correspondent davantage. Pendant longtemps, elle a refusé de magasiner, traumatisée par le processus par lequel passe un petit morceau de tissu. Elle s’intéresse aujourd’hui aux marques qui s’efforcent de produire mieux et aux alternatives de consommation plus respectueuses de notre environnement, comme la seconde main que promeut Bon Magasinage.
* Le prénom a été modifié.